La bête du musée est naturalisée, mais ses congénères trottent-« à pas de loup »- dans les montagnes environnantes, au grand dam
des bergers et des moutons ; mais le loup est encore plus vivant dans la langue française.
Si « la langue est un prisme à travers laquelle on appréhende le monde » que n’apprend-t-on pas sur l’état du monde et des
humains par la littérature qui concerne le loup à un moment donné. S’il est vrai que la plupart des expressions françaises concernant le loup datent du 15° au 18° siècles, la plus ancienne
remonte à 2 siècles avant J.C. « entre chien et loup » (période du crépuscule où on ne peut pas faire la différence entre les 2
canidés) . Combien de lycéens ont sué sur le sujet « (à l’état de nature,) l’homme est un loup pour l’homme » ?(attribué à Hobbes,
Léviathan (-d’aucuns mentionnent aussi Plaute, retour à l’antiquité)). L’expression la plus récente serait « un froid de loup « (I835)-mais ne
disons-nous pas plutôt « un froid de canard » ?
Lukos : en grec et Lupus : en latin désigne un
mammifère sauvage proche du chien .
Ces 2 mots ont une riche descendance en français :
loup-cervier /
loup-garou (homme loup = lycanthrope (grec) : homme le jour, loup la nuit (surtout par pleine lune !) qui est une
forme diabolique – (cf cinéma) werewolf := en anglais, qui rappelle l’évolution du mot depuis sa racine indo-européenne)
poisson vorace, qui, en Provence, se mange avec du fenouil
en médecine, lupus désigne un chancre/ la lycanthropie est ce délire d’un aliéné qui se croit loup
défectuosité dans un ouvrage d’édition /dans un textile, métallurgie d’où le verbe « louper »
en habillement, ce masque carré de velours noir ( voir la tête du loup), porté par les femmes pour se préserver du hâle (1680),puis pour les fêtes
et mascarades (1859)
la flore :aconit tue-loup
lycoperdon ou vesse-de-loup
(perdon vient du grec:perdesthai:= péter!)
muflier ou gueule –de-loup
(FH :1753)
lycope d’Europe ou pied de
loup(FH1710)
lycopode (FH : les premières
entrées)
Au féminin, louve := lupa, désigne la prostituée bien avant de désigner la femelle du
loup : sa caractéristique est la lubricité (ex. Messaline dont le surnom Lycisca réfère à la (chienne) louve) ; ce sens
subsiste dans’lupanar’.
A Rome, Lupercale (divinité Lupercus/Luperca) réfère au lieu où la Louve aurait nourri Romulus et Rémus.Le 15 février, les prêtres- vêtus uniquement de peaux
de loups- de ces divinités parcouraient les rues autour de la Colline en flagellant les passantes pour leur assurer fécondité.
noms de lieu := endroit où il y a des loups :
ex. le Louvre
le lycée : de Lycée := nom
propre du gymnase au N.E. d’Athènes où enseignait Aristote
St Leu, et bien d’autres
comme
Lovagny( 74) qui viendrait de
Lupianacum (:= village dans région boisée où vivent des loups)- à moins que cela ne soit du nom d’un propriétaire gallo-romain
(Lovanicum)
cf Lovettaz –au pied du Nivolet- de
lovetta := petite louve / ou + probable, d’un propriétaire( Lovat/ lovet)
En Maurienne et Tarentaise, des noms de
lieux-dits : Louvatière/ Lovatière, Louvière....
noms de personnes : Leu, Louvel, Wolfgang....
et un loup de mer :=
expérimenté et bourru.
un jeune
loup (aux dents longues) !
Expressions françaises : elles font allusion aux diverses caractéristiques attribuées, au fil du temps, au loup : outre celles déjà
mentionnées :
-aller queue à queue comme loup, (forme moderne) à la queue leu leu(cf la description ,lors de la conférence, d’une meute en
déplacement)
-hurler avec les loups (faire la même chose que les autres, puis plus récent, se plier à l’opinion générale)
L’animal affamé : avoir une faim de loup
la faim fait sortir le loup du bois
manger comme un loup
La surprise, l’inattendu, la soudaineté :
quand on parle du loup, on en voit la queue/ qui parle du loup en voit la queue (à comparer avec l’expression en anglais qui met l’accent sur le caractère
diabolique du loup ‘talk of the devil ‘)
La notion de danger, grandement illustrée :
-se jeter/ tomber dans la gueule du loup
-enfermer le loup dans la bergerie
-donner des brebis à garder aux loups
-crier au(x) loup(s) (alerter, puis être enroué à force de ..)
-tenir le loup par les oreilles (situation très dangereuse)
Mais aussi, l’expérience, la ruse et l’adresse :
-brebis comptées, le loup les mange( précaution ne garantit pas toujours de ne pas se
faire avoir )
-raconter des histoires au vieux loup (sornettes et billevesées ne trompent pas le vieux rusé)
-être un loup-garou, un (vieux) loup (misanthrope, vivant seul)
-faire un loup (faire une dette, et ne pas la payer)
-quand le loup est pris, les chiens lui lardent les fesses (lâcheté des chiens, qui l’accusent après coup)
Une mention spéciale pour les demoiselles :
-avoir vu le loup / danser le branle du loup : la danse du loup (la queue entre les
jambes)
Quelques autres encore :
regarder ...comme le loup blanc (une chose extraordinaire)
la lune est à couvert des loups
la lune n’a rien à craindre des loups (bien qu’ils hurlent à la lune) ( =les critiques et envieux sont impuissants devant
un mérite supérieur)
A la lecture de tout ce qui précède, on se rend compte de la longue cohabitation entre l’homme et le loup. Souvent l’homme a projeté ses propres défauts sur
l’animal, souvent pires que ceux de l’animal. J’ai oublié : homo sapiens sapiens, au néolithique, a domestiqué le loup pour en faire............ un chien!
Jean
Sources : Le Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française
Claude Duneton, Le Bouquet des Expressions
Imagées
Pierre Perret, Le parler des métiers