Au revoir Jean-Jacques!
Cette fois c’est la fin du voyage épistolaire avec notre cueilleur solitaire
- LETTRE VIII, ou de l’HERBIER :
Cette lettre, mise à la fin des éditions contemporaines, sur la suggestion de JJR lui-même (cf. la 6ième lettre) est sensée avoir été écrite avant la 6ième lettre, puisque datée du « 11 avril 1773, très à la hâte » !
La confection d’un herbier est, en ces siècles passés, une suite naturelle de l’observation in situ – la meilleure école bien sûr, et préconisée, même s’il faut se contenter des plantes du jardin. La majorité des exemples d’étude, dans les lettres, sont des plantes cultivées. En ce mois d’avril, « la terre commence à verdir, les arbres à bourgeonner, les fleurs à s’épanouir », c’est le moment aussi d’une autocritique :
« je crains que nous l’ayons traitée (la botanique) jusqu’ici d’une manière trop abstraite, en n’appliquant point nos idées sur des objets déterminés » [...] un simple coup d’œil aurait supplée à des descriptions longues et difficiles ».
« Pour bien connaître une plante il faut commencer par la voir sur pied. Les herbiers servent de mémoratifs, pour celles qu’on a déjà connues ; mais ils font mal connaître celles qu’on n’a pas vues auparavant ».
JJR a « fabriqué » bons nombre d’herbiers, soit pour en faire cadeaux à ses chères amies, soir même pour en tirer quelques profits aux jours de pénurie et d’expédients (assez vite il y renonce, les copies de musique étant un revenu plus stable !) .... mais avant tout pour correspondre avec les botanistes contemporains. C’est ainsi que l’on retrouve dans les musées de France et de Suisse une petite dizaine d’herbiers (parfois incomplets), confectionnés de la main de Rousseau, qui sont autant de témoignages émouvants de sa passion tardive !!
De nos jours, plus d’herbier pour les botanistes amateurs que nous sommes, les appareils photos numériques comblent notre soif d’observation. Mais deux, trois siècles plus tard nos photos seront-elles moins fanées que les plantes des herbiers ?
Conclusion :
Que retenir en ce début du 21°siècle, de la lecture et de la fréquentation des œuvres ‘botanistiques’ de JJR ?
Que, comme pour un certain nombre d’entre nous, la botanique fut pour lui une passion (fort fructueuse) sur le tard !
« Je suis, Monsieur, un pauvre écolier sexagénaire, auquel il ne manque pour devenir botaniste que de la jeunesse, de la mémoire, de la vigueur, des observations et une bonne méthode pour les rédiger. Tous les livres du monde ne valent pas un bon guide et n’y sauraient suppléer » (Lettre au docteur Pierre Clappier, 1768)
Ces dernières remarques sont toujours vraies et nous savons la chance que nous avons d’en avoir de forts bons, qui nous mènent dans ces démarches réussies d’observations des plantes.
En cela ils perpétuent les principes énoncés par notre grand ancêtre, qui ne cessait de mettre l’accent (au fil des lettres à Mme Delessert) sur l’observation détaillée –grâce à de petits instruments que nous utilisons toujours : loupe, scalpel (« lancette », dit-il) , ciseaux, etc.. - ; observer sur le terrain, bien connaître la plante avant de vouloir la nommer, voilà qui est toujours en vigueur !
«Une connaissance purement livresque [à la mode jusqu’en ce 18° siècle] est un vain savoir » et dans la lettre III : « Ayez la patience de ne lire que dans celui (=livre) de la nature et de vous en tenir à mes lettres »
En outre, dans ces lettres, nous (re)trouvons une approche pleine de chaleur humaine au contact d’une expérience mutuellement partagée, qui fait que la botanique n’est plus une science exacte et froide. C’est une atmosphère chaleureuse, dont nous faisons l’expérience au fil de nos cheminements sur les sentiers grufféens et autres !
Et puis, JJR contribua par sa notoriété à faire prévaloir le système de Carl von Linné, son contemporain, et sa classification des plantes par leurs organes sexuels et leur appellation binomale (genre/ espèce). « Les » Jussieu –qu’il fréquenta- introduisirent la notion de familles : les grandes familles que JJR décrit dans ses lettres sont toujours valides (même si le vocabulaire a changé).
«Il a fallu pour ne pas m’y perdre tout rapporter à une nomenclature particulière, et j’ai choisi celle de Linnaeus tant par la préférence que j’ai donnée à son système que parce que ses noms composés seulement de deux mots me délivrent des longues phrases des autres. » (Lettre à Malesherbes)
Cher Jean-Jacques – me permets-tu ce tutoiement, depuis notre longue fréquentation ?-, tu as marqué l’esprit de tes contemporains, et ceux d’une longue cohorte de personnalités qui sont venus, au fil des siècles suivants, te rendre hommage en ce lieu dont tu as dit : « Ici commence le court bonheur de ma vie... » Référence à l’exposition aux Charmettes, intitulée «Les chemins de Jean-Jacques", évoquant les visiteurs -et de fort célèbres – aux Charmettes, au fil des siècles, après ton passage.
Cher Jean-Jacques, continue à descendre la colline du Clos Savoiroux** ! Tu découvriras, à ne pas en douter, en ce lieu maintenant fort urbanisé, quelques « Plantes Urbaines » parmi le béton ! (Plantes Urbaines, de François Couplan, au Sang de la Terre, 2010) (et oui ! nous avons maintenant des livres fort bien illustrés, de ceux qui t’ont fait tant défaut en ce 18° siècle)
**Statue de Mars-Vallett (né à Chambéry -1869 -1957), inaugurée le 4 septembre 1910, fondue en 1942, la nouvelle statue à l’identique remise en place le 1° juillet 1962.
Et toi, botaniste débutant ou confirmé, n’entends-tu pas, au creux du vallon des Charmettes, l’écho des pas de ce marcheur invétéré ? Et cette exclamation, ce cri de joie plus lointain, qui s’y surimpose à la remarque de sa Chère Maman, quelques 30 ans plus tard : «Ah ! Voilà de la pervenche ! » ? (Livre VI des Confessions, lors d’une promenade à Cressier avec son ami M. du Peyrou, 1764) ?
Bien sûr, la science a évolué, et la connaissance des plantules ( !) a bien évolué, avec l’apport de nouvelles techniques –voir la note sur les nouvelles classifications, abordées dans deux de nos précédents articles. Cette mise en perspective de l’évolution de la botanique ne nuit nullement au salut fraternel que j'adresse au garnement –pardon, Citoyen- de Genève !
Jean