Pas de fleur, pas de pollen ou pas de pollen, pas de fleur, II
Une histoire du passé :
Lorsque les conquistadores revinrent du Nouveau Monde, ils rapportèrent dans leurs cales bien des trésors : parmi eux, une liane qui conquit, par la beauté de ses fleurs et son exotisme, bien des cours royales du vieux continent ; il s’agit de Vanilla planifolia,famille des orchidées, originaire de l’Amérique Centrale, Mexique, ...
Ainsi une bouture fut plantée dans le Jardin du Roy Louis XIV (futur Jardin des Plantes).
Nombre des botanistes des siècles passés l’étudièrent : restait le fait que ces magnifiques fleurs
étaient stériles, faute du petit pollinisateur, insecte spécialisé des forêts humides et tropicales de cette Amérique Centrale, à savoir, pour les entomologistes actuels, l'abeilles
euglossine.
Or lors de la colonisation des Mascareignes, le gouverneur de l’île Bourbon (la Réunion actuelle) introduisit des plantes de l’espèceVanilla planifolia d’origine mexicaine dans les années 1830, une pépinière de ce qui allait s’appeler « Vanille Bourbon » fut créée non loin de St Benoît (La Réunion). Souple et peu ramifiée, la liane de vanille épiphyte, à longs entre nœuds, s’élance à l’assaut de son support et peut atteindre 10m ! Des racines aériennes adventices lui permettent d’adhérer à son tuteur et d’y puiser sa nourriture.
Les feuilles alternes, planes ovales en fer de lance, à bout pointu, peuvent mesurer jusqu’à 15cm.
La tige et les feuilles sont vertes et charnues, et leur suc transparent et irritant avec possibilité de brûlures, voire de démangeaisons persistantes.
Les fleurs apparaissent à l’aisselle des feuilles ; de couleur verdâtre ou jaune pâle, hermaphrodites, elles ont la structure classique de fleur d’orchidée.mais les organes mâles et femelles sont séparés par une petite lamelle membraneuse, le labellum, ce qui rend difficile leur pollinisation.
De plus, comme toute orchidée, le pollen dans les pollinies ne peut pas être dispersé par le vent, et, faute d’insecte pollinisateur, la fleur reste stérile.
Par contre si elle est fécondée, cette fleur donnera une « gousse »,- botaniquement parlant, une capsule -, le terme gousse référant au produit fini vendu à des prix fort élevés selon la qualité de la gousse.
Or même à la Réunion, les fleurs n’étaient pas pollinisées par les insectes « indigènes », car comme toute plante (ou animal, poisson, batracien) venue d’ailleurs – et devenant parfois invasive, Vanilla planifolia ne les attirait pas.
Comment produire ces gousses aromatiques, classées, côté cuisine, parmi les épices, sans pollinisateur ?
Les armoiries de la Réunion
arbore une liane de vanille et la devise :
« Florebo quocumque ferar »
(je fleurirai où que vous me transporterez)
mais la devise était fausse pour la vanille !
Un jeune esclave noir- la France ayant propagé cette pratique infamante jusqu'à La Réunion et ayant bien tardé à abolir l’esclavage - un jeune esclave noir d’un riche planteur a découvert une technique manuelle mais simple, délicate, et finalement rentable.
- « Je n’arrive pas à comprendre comment par quelle magie ces fleurs jusqu’alors stériles se sont mises à enfanter de si belles gousses ? », se serait exclamé M. Féréol Beaumont Bellier de Villentroy, propriétaire et de la vanille et de l’esclave !.
-« Patron , c’est pas de la magie, je crois avoir réussi un simple mariage [...],comme toute fleur, la vanille a un affaire mâle et un affaire femelle ; pour déchirer sa petite languette, (cf. labellum) je prends une épine de raquette ( voir cactus). Avec mes doigts, je pèse dessus pour que les deux affaires se collent ensemble. » lui répondit Edmond, son esclave de 11 ans ; et pour le succès de sa découverte, il fut affranchi !
Depuis ce temps là, les « marieuses » s’affairent, de septembre à décembre (été dans l’hémisphère sud) auprès des tuteurs où s’enroulent la vanille et fécondent manuellement jusqu’à 1000 fleurs par jour !
Tôt le matin, par temps sec, elles utilisent le même procédé que celui d’Edmond Albius (en l’affranchissant, son maître lui donna le patronyme d’Albius, référence à la couleur de la fleur vanille ....quelle ironie !) : avec une épine, elles décapuchonnent les organes mâles, redresse la languette qui séparent les organes femelles des précédents, et de leurs doigts elles rapprochent l’étamine avec son pollen du stigmate, en les pressant légèrement pour être sûr que le contact a été établi !
Je ne reviendrai pas sur les utilisations de Vanilla en pâtisserie et autres mets de bouche (y compris liqueurs), ses propriétés sont utilisées en parfumerie et phytothérapie (huile essentielle pour massage et relaxation), en médicine comme fébrifuge, antidépresseur... A noter que les manipulateurs au contact de la vanille moisie peuvent attraper une maladie, le vanillisme.
Jean
Photos "empruntées" à Internet.