Les TOURBIERES des Saisies avec Maurice PANTALONI
Réf. : carte IGN 3531 OT Megève col des Aravis
Situation géographique :
Les sites des tourbières sont bien balisés :
Montée à partir d’Ugine –le Val d’Arly étant fermé- en direction de Cohennoz (NE) jusqu’au point 980 m, où nous avons pris la route forestière à droite, pour gagner le point 1402 m, puis départ à pied par la route forestière vers le Lac des Saisies devenu, au fil du temps, une tourbière.
Après un court trajet en voiture et un pique-nique fort convivial, l’après midi sera consacrée aux tourbières des Saisies, à
la sortie du village, en direction de Crest Volland, sentier des Arpelières, grande boucle d'au moins 4 km entièrement amenagée, dans un site
remarquable.
On peut traverser tout ce site humide sans se mouiller les pieds !
Un dernier arrêt sera fait juste après le carrefour des Ayes pour voir Corallorhyza trifida, l’orchidée appelée « racine de corail ».
Ce fut une magnifique journée (malgré l’épisode orageux), très enrichissante, sous la direction magistrale de Maurice Pantaloni : nous lui réitérons nos remerciements, lui le natif du coin toujours passionné de son secteur.
Il a cherché à nous faire prendre conscience de la notion de «milieu », là où les plantes ne sont plus uniquement des "taxons", mais un élément faisant partie d’un ensemble, résultant de la succession des ères géologiques du secteur.
Entre le Val d’Arly et le Dorinet d’Hauteluce –au pied du Signal de Bisanne- on trouve le prolongement du massif cristallin des Belledonnes (gneiss et schistes). Le secteur a été érodé et remodelé par les glaciers du quaternaire qui ont laissé derrière eux des creux à futures tourbières.
Environnement :
Nous sommes sur des sols acides avec la végétation caractéristique de la «pessière» (de ‘pesse’ : Picea abies, épicéa) pessière à éricacées et autres plantes comme Prenanthes purpurea, (prénanthe pourpre), Sorbus acuparia, (sorbier des oiseleurs) signe d’un sol riche et Blechnum spicant, (blechnum en épis)...
L’épicéa domine bien sûr, et lors d’une croissance lente et fil droit, fournit les bois de "résonance" (ou de musique) que naguère les luthiers venaient choisir sur pied. Il a un autre usage traditionnel tel les cercles de bois de certains fromages goûteux et coulants qui se mangent à la cuillère. Il est le «sapin de Noël » de nos enfances, concurrencé maintenant par Abies nordmannian, le Nordmann.
A ses pieds poussent des mégaphorbiaies –groupement de hautes herbes- dont le feuillage s’étale sur le sol en une mini jungle, microclimat humide et ombragé : Cicerbita alpina (laitue des Alpes), Adenostyles alliariae (adénostyle à feuilles d’alliaire). Voyez les couleurs changeantes des capitules violets de la première, aux tons plus roses de la seconde, contrastant avec les touches blanches de Ranunculus aconitifolius (renoncule à fueilles d’aconit). Une pessière est dite ouverte avec moins de 50% d’arbres, et à plus de 50%, elle est dite fermée, car trop d’ombre limite la végétation au pied des arbres.
La tourbière :
Enfin nous arrivons à la tourbière.
L'histoire de la tourbière remonte à des centaines de milliers d’années, lorsque le glacier reculant sur le socle schisteux, laisse une cuvette sur un emplacement en forme de selle. Le sol devenu imperméable retient la pluie. Les plantes (graines, sphaignes, lichens, mousses, arbrisseaux...) meurent et tombent dans l’eau glaciale, ce qui empêche le pourrissement. Ainsi se forment des strates successives de lignite aux couleurs changeantes. La sphaigne ne fait-elle pas une belle tourbe blonde ?. Petit à petit, la cuvette se comble, l’eau disparaît, la tourbière « atterrit » (ex. : le Val de Saône) sous l’accumulation de débris végétaux. Ceux-ci sont des plantes très typées qui envahissent les parties moins humides, formant des touradons. Ce sont des structures en mottes arrondies -de 40 à 60cm de haut- produites par la pousse annuelle de certaines plantes, comme Molinia coerulea (molinies bleues), sur leurs anciennes racines et feuilles mortes dont la décomposition est ralentie par l’acidité du milieu.
Les sphaignes jouent un rôle prépondérant dans la tourbification. L’installation de ligneux Betula pubescens (bouleau), Salix (saule) annonce la fin de la tourbière.
A des fins de conservation (et d’études) ll’homme est intervenu pour « aménager » des zones en eau libre, dans ce qui était, un demi-siècle auparavant, un vrai lac (souvenirs de Maurice P.)
Différents types de tourbière :
tourbière ombrogène- ou ombrotrophe (bog en anglais) : la neige et la pluie sont les seuls apports d’eau
tourbière limnogène : lac est à l’origine de la tourbière
tourbière topogène en « cascade » : fond de vallon, de cuvette, chacune d’elles se remplissant de tourbe
tourbière soligène : sur pentes, les ruissellements et sources l’entretiennent
tourbière minérogène –ou minérotrophe (fen en anglais) : par ruissellement et nappes souterraines
À ce propos, le Nant Rouge qui traverse les tourbières des Arpelières sur le plateau des Saisies, nous rappelle que le sol contient des éléments ferreux. En effet, les bactéries présentes se nourrissent d’eau, elles conservent le carbone de l’eau, rejettent le fer liquide et colorent ainsi en rouge les rocs et pierres du lit du Nant…Rouge. Le même phénomène se produit avec la neige devenue ‘rouge’ : ce sont les mêmes bactéries à l’œuvre ! de même l’excès de carbone donne à l’eau cet aspect huileux d’hydrocarbure !
Cette approche de ce milieu –pessière acide avec tourbière- serait incomplet sans la mention de quelques uns de ses nombreux hôtes : libellules et agrions sur le lac (Leucorrhinia dubia, Coenagrion hastulatum...), écureuil roux (dont nous avons pu voir le travail sur un cône d’épicéa), lézard vivipare, grenouille rousse (qui a sauté de mains en mains ...la pauvre !), tétras lyre (qu’on n’a pas vu) et maints papillons. Et pas les moindres ...en nombre, les fourmis rousses – preuve de bonne santé de la pessière- qui nous couraient sous et sur les pieds.
Jean GUHL
à suivre....